AIDANTS ET SOUTIEN PSYCHOLOGIQUE

Les aidants familiaux, je veux dire les personnes qui aident un parent diminué par la maladie ou tout simplement par le poids des ans, sont très impliqués affectivement dans la situation difficile que vit leur proche. Ils sont aussi bien souvent dépassés par l’ampleur de la tâche à laquelle ils se vouent corps et âme. Rien d’étonnant, dès lors, à ce qu’ils soient en proie à un stress important. Ceux qui aident, eux aussi, ont besoin d’aide ! Mais quel soutien psychologique peut-on leur proposer ? L’expérience m’a enseigné que la réponse à cette question obéissait à une règle simple : plus un aidant familial demande de l’aide rapidement et plus le dispositif psychologique mis en place pour l’accompagner pourra être léger et de courte durée.

Aidant, vous avez dit aidant ?

Ma pratique de psychologue clinique en service de médecine gériatrique, en oncologie ou dans les services de soins palliatifs, m’a conduit tout naturellement à rencontrer les personnes qui prennent soin au quotidien des malades auxquels j’apporte une aide psychologique au moment d’une hospitalisation ou d’un placement en institution.

Ces personnes sont presque toujours des proches : il s’agit souvent d’une épouse ou d’un époux, d’un frère, d’une sœur, d’un fils, d’une fille, d’une belle-fille, d’un petit-fils ou d’une petite fille, plus rarement d’un ami ou d’une voisine, même si cela arrive parfois… Tous ces gens n’ont aucun statut et sont seulement définis par ce qu’ils font : ils aident une personne diminuée, ce sont donc des aidants. Pour les différencier des acteurs de santé professionnels, on les appelle parfois aidants familiaux, aidants naturels, aidants informels, voire tout simplement aidants non-professionnels. 

Lorsque l’on évoque ces aidants, on oublie bien souvent que chacun d’entre-nous peut en devenir un du jour au lendemain. Nous pouvons tous être confrontés à la maladie et à la perte d’autonomie d’un proche. Devenir aidant n’est pas un choix, ce n’est pas un rôle que l’on endosse parce qu’on veut le jouer, même si on décide de le tenir ; devenir aidant, c’est accepter une charge qui s’impose à nous alors que l’on en ignore tout.


Stress de l'aidant

Le stress de l’aidant

C’est pour cette raison que les personnes qui s’occupent d’un parent diminué ont eux aussi besoin d’aide : la plupart d’entre-eux se retrouvent seuls à devoir faire face à une tâche éprouvante, sans aucune préparation, sans aucune formation, et sans même savoir à quoi ils doivent s‘attendre. Affronter cette épreuve seul s’avère très souvent insurmontable. Certes, la situation des aidants familiaux est très variable et les difficultés auxquelles est confrontée une personne qui donne 5 ou 6 heures de son temps par semaine, pour tenir compagnie, faire les courses ou un peu de ménage par exemple, ne sont pas les mêmes que les difficultés rencontrées par une personne qui prend soin nuit et jour d’un parent malade. Mais quelque soit leur niveau d’investissement, la situation vécue par les aidants est un facteur de stress important.

L’aidant est presque toujours une personne généreuse. Elle a le souci de l’autre et se sent responsable du proche dont elle prend soin au point de partager avec lui sa souffrance et même parfois de la faire sienne. Le poids de la charge émotionnelle qu’il supporte est ainsi généralement très élevé, car à cette souffrance partagée, se mêlent la crainte de la perte de l’être aidé et le sentiment d’être dépassé, de ne pas toujours savoir faire ce qu’il faut. La mise en place d’un accompagnement psychologique permet d’abaisser sensiblement le niveau de stress ressenti par l’aidant et d’apaiser sa souffrance. Cela concourt aussi à préserver la relation aidant/aidé lorsque l’évolution de la maladie ou les circonstances familiales la mettent en danger.

  • Un soutien psychologique pour évacuer l’anxiété

L’entretien psychologique, par la dynamique libératoire de la parole, est une réponse efficace à la détresse de l’aidant. Basé sur une écoute bienveillante, il permet à une personne en souffrance de « vider son sac » et de se libérer de son anxiété, en tout cas d’en atténuer l’intensité.

La séance avec le psychologue est un moment de répit qui permet à l’aidant de prendre du temps pour lui, du temps pour souffler, pour réfléchir, et finalement prendre du recul pour mieux évaluer sa situation.

  • Un apport de compétences pour une meilleure aidance

Ces entretiens sont aussi l’occasion pour l’aidant d’aborder les difficultés concrètes auxquelles il est confronté dans sa relation avec la personne aidée et le rôle du psychologue est de lui fournir des informations pertinentes sur les conséquences psychologiques de la pathologie dont souffre la personne qu’il accompagne. Il faut l’aider à comprendre les comportements inattendus et parfois déroutants de ce dernier : on pourra, par exemple, expliquer à une personne qui assiste un proche atteint d’Alzheimer, qu’il est vain de toujours chercher à le ramener à la réalité comme il s’obstine à le faire, car cela est sûrement vécu par le malade comme une persécution et ne fait qu’élever d’un cran le niveau d’agressivité de leurs échanges. Dans le même registre, le psychologue pourra aussi aborder avec lui l’évolution possible de la maladie pour lui permettre de s’y préparer.

  • Un apprentissage des techniques de gestion du stress

Quelques séances peuvent suffire pour abaisser le niveau de stress supporté par l’aidant et améliorer sensiblement sa relation avec l’aidé. Pour pérenniser la bonne qualité de cette relation, on pourra lui proposer de compléter ces entretiens par des séances de thérapie psychocorporelle qui l’aideront à mieux gérer son stress au quotidien: adopter des techniques de gestion du stress et être en mesure de les mettre en œuvre soi-même, au moment ou cela s’avère nécessaire, procure un apaisement persistant à l’aidant comme à l’aidé et permet d’aborder avec plus de calme les moments soumis à de fortes tensions.


L’épuisement de l’aidant

L’assistance psychologique aux aidants dont je viens d’esquisser les grandes lignes peut bien sûr être proposée au proche aidant à n’importe quel moment de sa prise en charge d’une personne diminuée. Mais plus la demande d’aide est tardive, plus il est difficile de mettre en œuvre une aide psychologique.

En effet, certains aidants, animés d’une bonne volonté opiniâtre et bien souvent prisonniers de la certitude d’être la seule personne capable de prendre soin du proche malade, s’épuisent à vouloir tout faire et tout gérer. Ils ne se résignent que très rarement à recourir aux services d’intervenants professionnels pour la toilette et les soins courants, le ménage ou les courses, et se retrouvent très vite au bord de l’épuisement physique. C’est notamment le cas lorsque l’aidant et l’aidé sont des conjoints. 

Pour ne rien arranger, cette situation fragilise bien souvent l’équilibre familial et ce surcroît de tension dans la vie quotidienne de l’aidant accroît encore son épuisement moral.

  • Une implication de l’entourage

Lorsqu’un aidant est pris dans cet engrenage, il faut prendre du temps pour l’amener à lâcher prise, à accepter une aide extérieure. Il ne faut surtout pas l’enfermer dans le cadre que notre regard de professionnel exercé pourrait lui imposer d’entrée de jeu : Il n’y a pas lieu de lui proposer des réponses toutes prêtes aux questions qu’il se pose, ou pire à celles qu’il ne parvient plus à se poser. Ces questions, il pourra y répondre lui-même si nous l’aidons à s’interroger sur sa situation et à voir plus clair dans ses relations avec ses proches.

Dans certains cas, il peut être particulièrement bénéfique d’organiser quelques séances avec l’aidant et les membres les plus proches de son entourage qui pourront ainsi prendre conscience du poids de la charge qui pèse sur ses épaules. La circulation de la parole au sein de la famille peut permettre de mieux comprendre comment est vécue la situation chez chacun de ses membres et ainsi d’aider la famille à trouver des solutions pour soulager l’aidant principal et éviter qu’il s’enferme à nouveau dans une bulle avec le proche aidé.

Le burn-out de l’aidant

Malheureusement, d’après mon expérience, la demande d’aide de la part des aidants familiaux est finalement assez peu fréquente dés lors que la charge mentale qui pèse sur eux est devenue trop lourde pour qu’ils puissent ne serait-ce qu’envisager de demander de l’aide.

Au fil du temps et de l’évolution de la maladie du proche assisté au quotidien, l’aidant familial, épuisé moralement et physiquement, toujours débordé et ne connaissant aucun répit, parfois soumis à l’agressivité de la personne dont il s’occupe, pas toujours bien reconnu dans son rôle, finit par avoir de plus en plus de mal à porter un fardeau dans lequel il investit néanmoins toute son énergie. Il rencontre des difficultés croissantes à gérer les sentiments ambigus qu’il éprouve à l’égard de la personne malade et le sentiment de culpabilité qu’il en éprouve se fait de plus en plus envahissant.

L’accompagnement qu’il offre au proche malade peut alors se dégrader très sérieusement, voire devenir délétère. Cette spirale infernale ne trouve parfois sa résolution que dans le placement en institution du parent aidé, presque toujours vécu comme un échec personnel, ou pire, dans l’hospitalisation de l’aidant qui finit par s’effondrer.

  • Une Thérapie pour éclairer ce que l’on traverse

Dans ce cas de figure, la prise en charge psychologique de l’aidant ne peut plus consister à simplement abaisser son niveau de stress. Ici, Il s’agit plutôt de l’aider à sortir du marasme affectif et mental dans lequel il s’est enlisé : épuisé physiquement, miné par un sentiment d’échec, bien souvent tourmenté par la culpabilité, l’aidant éprouve les pires difficultés à surmonter ce qu’il vient de vivre et peut même connaître un épisode dépressif.

Un simple soutien psychologique est ici bien souvent insuffisant pour l’aider à dépasser ce moment difficile de son existence et une psychothérapie au long cours peut s’avérer nécessaire pour l’aider à se reconstruire. Il faut en effet prendre du temps pour qu’il puisse envisager ce qu’il a vécu avec son parent malade, non plus seulement comme une épreuve douloureuse et un échec, mais comme une preuve d’amour et une expérience dont il peut sortir plus riche.

« D’abord et avant tout, savoir demander de l’aide. »

Être aidant est une tâche difficile et exigeante. Pour la mener à bien sans s’épuiser et venir en aide efficacement à un proche diminué par la maladie, il faut être capable de s’accorder du temps pour s’occuper de soi. Cela implique que l’on conserve suffisamment de lucidité pour demander de l’aide dés que l’on commence à se sentir débordé. L’essentiel, en effet, est de prendre conscience que l’on a besoin d’aide.

Mais trop souvent les aidants ne savent pas vers qui se tourner pour trouver de l’aide. Après tout, faire appel à un psychologue dans ces cas là n’est pas quelque chose qui va de soi. Il existe heureusement d’autres solutions.

Plus souvent qu’on ne l’imagine, on peut trouver du soutien auprès de ses proches, ne serait-ce qu’en leur faisant part des difficultés que l’on rencontre. Croire que l’on va préserver son entourage en lui taisant ses angoisses et sa fatigue est presque toujours un mauvais calcul. Il faut parler de ses difficultés, et si l’aide apporter par l’entourage s’avère insuffisante ou n’est pas envisageable, il est toujours possible de s’adresser aux nombreuses associations qui viennent en aide aux aidants. Ces associations peuvent fournir une assistance sur le plan administratif, mais elles sont aussi en mesure de diriger les personnes qui le souhaitent vers des groupes de parole où les aidants peuvent évoquer et partager leurs problèmes. Elles pourront aussi, le cas échéant, les mettre en contact avec un psychologue dans le cas où ils ne sauraient pas où s’adresser.